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Communication sollicitée, Colloque international sur la traduction et l'interculturalité,
Université Hassan II, Mohammedia, Casablanca, Maroc
, 19-20.5.2011;
Idioma, 22, mai 2012, pp. 25-40  [revue de l'UER Langues et cultures
de la Haute École Francisco Ferrer, Bruxelles: ISBN 978-2-930615-02-8].

09-10-2011 



Le traducteur caméléon: médiateur interculturel



Patrick Boylan



La thèse



Le traducteur, on le sait, doit posséder des compétences linguistiques et des capacités pragmatiques (créatives) remarquables, tant dans la langue source (LS) que dans la langue cible (LC). Mais cela ne suffit pas. En tant que médiateur entre les cultures, il doit également posséder la compétence dont on parle beaucoup depuis vingt ans, souvent sans en percevoir pleinement la complexité intrinsèque. Je veux parler de la compétence interculturelle, dans le sens de l'expression anglaise « cross-cultural competence ». (Pour la distinction entre « cross-cultural competence » et « intercultural competence », voir Killick & Parry 1997, 1998, 1999.)



Par compétence interculturelle, j'entends la capacité d'un individu d'établir une entente authentique avec une communauté d'interlocuteurs qui expriment une Weltanschauung différente de la sienne, en interagissant avec eux directement ou, comme dans la traduction, à travers une feuille de papier ou l'écran d'un ordinateur. Par « Weltanschauung » j'entends, plus qu'une « vision du monde », une « manière d’être dans le monde » (en anglais, « existential stance »), que l'individu vit comme vision du monde et rationalise comme système de valeurs. La partie de cette vision et de ces valeurs que l'individu partage avec une certaine communauté s'appelle « culture ».



Le concept de « communauté » est essentiel. En effet, dans cette contribution je soutiens qu'un traducteur ne doit jamais traduire, pour ainsi dire, en tête-à-tête avec l'œuvre mais toujours en compagnie. D'une part, il doit traduire l'œuvre à travers les yeux de la communauté qui l'a comprise (à tort ou à raison) et qui en a décrété le succès ou, en tout cas, qui a fourni à l'auteur la langue et les langages dont il avait besoin pour s'exprimer – communauté dont le traducteur, avant d'entamer la traduction, doit chercher à faire partie (réellement ou virtuellement) à plein titre. D'autre part, le traducteur doit tenter de traduire l'œuvre, non pas pour soi-même ou pour un lecteur quelconque, mais toujours pour un lecteur précis, quoique supposé, appartenant à la communauté de la langue et des langages dont le traducteur se sert pour réaliser son ouvrage : communauté dont le traducteur, avant d'entamer la traduction, doit chercher à faire partie à plein titre, réellement ou virtuellement. En un mot, le traducteur n'interagit jamais avec des textes en soi, mais toujours avec des communautés d'interlocuteurs à travers la médiation des textes. Nous reviendrons sur cet aspect par la suite.



Le terme « authentique » est, lui aussi, essentiel pour nos discours. En effet, la complexité intrinsèque du concept de « compétence interculturelle » est due à la complexité intrinsèque du produit final de cette compétence, c'est-à-dire, l'« entente » qui se réalise entre deux interlocuteurs de cultures différentes, et qui doit être « authentique ». « Entente » signifie ici compréhension réciproque « en raison d'une communauté de vues, d'une conformité de sentiments” (Trésor de la langue française 1971 www.tinyurl.com/tresor-1 ). Mais, que veut dire « authentique » ? Pour qu'une entente soit telle, la « communauté de vues » et la « conformité de sentiments » entre les deux interlocuteurs, doivent-elles être parfaites ?



Selon la thèse défendue dans cette contribution, une entente est authentique dans la mesure où il y a convergence entre les parties sur les plans cognitif, affectif et – surtout – volitif. Dans le domaine de la traduction, cela signifie que, pour pouvoir créer un texte cible qui permette à son public d'« entendre authentiquement » (cognitivement, affectivement et surtout volitivement) le monde du texte source, à savoir un texte cible qui produise les mêmes effets sur son public que le texte source a produit sur le sien, un traducteur doit, lui en premier, « entendre authentiquement » ce monde – ainsi que le monde des lecteurs présumés de sa traduction. C'est-à-dire, qu'il doit savoir se métamorphoser deux fois, en convergeant existentiellement avec deux mondes, même radicalement différents.



Les trois plans de l'acquisition et de l'emploi d'une langue seconde



Mais, que signifient ces trois termes : cognitif, affectif, volitif? Un exemple tiré du domaine de l'acquisition des langues secondes rendra plus claires les différences entre une compréhension purement cognitive (ici, d'une langue étrangère), une compréhension affective et une compréhension volitive (ou ces trois éléments ensemble).



Si vous étiez professeur d'arabe et vous vouliez offrir un cours de langue à un groupe de jeunes Italiens ou de jeunes Américains qui désirent devenir médiateurs interculturels dans leurs pays, vous ne devriez pas vous limiter à leur enseigner la grammaire arabe, l'histoire de la langue et des dialectes arabes, et, enfin, la civilisation des pays arabophones. Quoique importantes, ces notions sont seulement des « connaissances cognitives », c'est-à-dire des élaborations de l'esprit (conceptualisations) qui, même si vous y ajoutez des exercices pratiques de grammaire, seraient insuffisantes pour que vos étudiants puissent intérioriser la langue et la « manière d’être dans le monde » d'un arabophone.



Mais c'est bien de cette intériorisation-là qu'un médiateur interculturel a besoin ! S'il travaille, par exemple, dans les services d'accueil (immigration, tourisme, événementiel) de son pays, il doit savoir comprendre ses interlocuteurs arabophones, non à la lettre, mais comme ces derniers perçoivent ce qu'ils disent. Il doit donc savoir les comprendre « avec le ventre » autant qu'avec la tête. Pour cela, une formation purement cognitive est insuffisante.



A titre d'exemple, je cite mon université en Italie où, après trois années de cours de langue arabe, vue comme un ensemble de concepts à maîtriser, y compris beaucoup d'heures de pratique en classe et au laboratoire, on obtient un diplôme qui certifie une connaissance de l'arabe (parlé) seulement au niveau A2, le deuxième niveau le plus bas sur l'échelle CECR ! Ceci n'est pas la faute des professeurs, qui sont excellents, mais de la tradition universitaire italienne qui privilégie l'enseignement des concepts (connaissances cognitives). Même renforcées avec de la pratique au laboratoire, ces connaissances restent des pur concepts. Par conséquent, les étudiants restent Italiens, à tous les effets, du point de vue de leur structure existentielle et donc de leur façon de s'exprimer (et de comprendre un discours) en arabe.



Il ne vous suffirait pas non plus, pour renforcer l'enseignement cognitif, de faire écouter, pendant les cours, de la musique des pays arabophones – le maqâm irakien, le gnawa marocain, les chaâbi, un peu de tout – et, en outre, de faire voir des films en langue arabe à fort impact émotif. Car les connaissances ainsi acquises ne seraient que des « connaissances affectives », à savoir, des configurations pulsionnelles – donc immanentes (non conceptualisables) – permettant de comprendre si quelque chose mérite d'être désiré et de quelle manière et en vertu de quelles dispositions. (Voir Wéber 1991 pour la définition de « connaissances affectives » qu'offre Thomas d'Aquin – www.tinyurl.com/aquin-1et, pour une définition moderne, Bloom et al 1964: 19-20 www.tinyurl.com/bloom-19-20).



Il ne faut pas pour autant sous-estimer l'importance des connaissances affectives, comme le soulignent Aquin et Bloom. Quand vos étudiants d'arabe auront appris à apprécier, par exemple, les maqâmat irakiens ou quand ils resteront frappés par le discours final de Saïd à Abu-Karem dans le film Paradise Now (Abu-Assad 2005 www.tinyurl.com/paradise-now-1 ), ils auront intériorisé, de la culture arabe, une connaissance affective difficilement traduisible par des mots mais qui illuminera leur perception des peuples arabophones beaucoup plus qu'une connaissance purement cognitive de ces derniers (par exemple, une notion historique ou démographique). Toutefois, malgré leur importance, les connaissances affectives ne permettent pas, toutes seules ou accompagnées par les connaissances cognitives, l'intériorisation « vive » d'une langue étrangère vivante. Que faudrait-il faire de plus alors?



Outre ces connaissances, vous devriez faire acquérir à vos étudiants d'arabe un savoir qui les prédispose à agir en langue avec efficacité, c'est-à-dire, une « connaissance volitive » de la langue arabe et de ses dialectes et cultures. Ce terme peu connu en français est un calque du terme « volitional knowledge » en anglais (ou « voluntaristic knowledge » dans la terminologie de F. G. Asenjo 1988) et indique un savoir qui ne doit pas être confondu avec les simples « connaissances pratiques ». Il indique, au contraire, le savoir-faire hautement réfléchi qu'Aristote appelle phrónêsis (la troisième connaissance décrite dans l'Éthique à Nicomaque VI). Byram le décrit, dans sa théorisation de la communication interculturelle, comme un ensemble de cinq savoirs, avec au centre le « savoir s'engager » (voir Byram 2004: 212 www.tinyurl.com/routledge-1 ; Guilherme 2002: 141 www.tinyurl.com/multilingual-1 ). En français courant, on désigne les connaissances volitives en utilisant des termes plutôt limitatifs ou vagues, comme par exemple « connaissances procédurales » – Plassard (2007) www.tinyurl.com/plassard-1ou bien « connaissances stratégiques ».



C'est, en tout cas, une forme de connaissance qu'un professeur de langues étrangères « traditionaliste » a tendance à laisser de côté dans ses cours, pour pouvoir se dédier aux seules « connaissances cognitives » (conceptualisations). Voici, à titre d'exemple, cinq « savoirs volitifs » en langues étrangères dont ce professeur-là prive ses étudiants: 1) savoir négocier en langue étrangère, 2) savoir mener une enquête ethno-linguistique sur le terrain, 3) savoir appliquer à l'écrit les notions de stylistique acquises au cours de langue, 4) savoir créer une entente dans une équipe multiculturelle, et, pour revenir à notre thème, 5) savoir traduire/adapter un scénario ou une publicité pour le public local. La justification habituelle est que, grâce aux connaissances cognitives acquises lors des cours, les étudiants seraient capables d'acquérir, de par eux-mêmes, ces connaissances volitives par le biais de la pratique. Il n'en est rien naturellement, du moins dans le cas des cours universitaires de langues que j'ai pu observer en Italie et en Amérique (je ne parle donc que d'eux): les étudiants se plaignent continuellement de leur formation trop « théorique » et les associations professionnelles se plaignent continuellement de l'incapacité des jeunes diplômés à tirer partie de leurs seules connaissances cognitives. Mais peu importe: pour un professeur traditionaliste, tout ce qui n'est pas cognitif (conceptualisé) ne serait que « connaissance pratique, mécanique » qu'il n'appartient pas à l'Université d'enseigner.



Cette dichotomie – selon laquelle un professeur ne peut que donner des connaissances qui soient ou hautement « théoriques » ou vulgairement « pratiques », car une connaissance qui soit les deux choses ensemble n'existerait pas – est clairement manichéenne. Elle ignore, par exemple, comme nous venons de le dire, la distinction tripartite fondamentale que fait Aristote (Éth. Nic. VI, 3-5). En effet, entre l'epistémê (conceptualisations démontrables) et la technè (connaissances pratiques pour créer quelque chose), Aristote reconnaît la phrónêsis: le savoir agir dans la vie, qui est à la fois actionnel (action-oriented) et rationnel (conceptualisable), donc tout à fait digne d'être enseigné à l'université. C'est le savoir général qui se concrétise en d'innombrables connaissances volitives mixtes, comme les cinq savoirs que nous venons d'énumérer. Plutarque, avec ses leçons (et ses « Vies »), a tenté d'enseigner ce savoir dans le domaine politique sous le nom de « discernement et capacité d'agir dans les affaires d'État». Dans le domaine de la cross-cultural communication, la phrónêsis prend la forme de « discernement actionnel de la Weltanschauung d'autrui », qui nous prédispose à saisir ce que veut l'Autre – et à le vouloir pour ses raisons, tout en restant nous-mêmes avec nos priorités – pour pouvoir communiquer avec lui en « parlant son langage ». C'est le savoir que devrait posséder chaque diplômé de langues pour pouvoir tenir avec aisance, dans les situations interculturelles les plus variées, les justes propos.



Revenons à nous, maintenant.



Nous avons imaginé que vous vouliez offrir un cours de langue arabe à un groupe de jeunes Italiens ou Américains. Mais, vous vous rendez alors compte que les seules connaissances cognitives (comme la grammaire, même renforcée avec des exercices pratiques) et affectives (comme la musique ou le cinéma) ne suffisent pas pour que vos étudiants réussissent à intérioriser, de façon vive, la langue arabe et ses cultures. Que faire, alors? Comment pouvez-vous faire acquérir à ces jeunes les connaissances volitives qu'ils réclament? Dans cette communication, je me limiterai à esquisser deux activités de recherche que vous pouvez proposer à vos étudiants, activités que j'ai pratiquées pendant trente ans dans mes cours d'anglais pour la communication interculturelle à l'Université de Rome.



Vous pourriez, donc, amener vos étudiants italiens ou américains à vouloir devenir pour un jour un personnage de quelque pays arabophone – un jeune égyptien ou un jeune marocain vu par exemple sur YouTube. Au préalable, il va sans dire, vos étudiants doivent étudier à fond leur « double arabophone » en faisant son portrait-robot culturel et caractériel. Puis, ayant assumé l'identité de leur double à travers des exercices à la Stanislavski, vos étudiants pourront entreprendre quelques recherches ethnographiques pour « vivre » et « expérimenter » leur nouvelle identité et les valeurs culturelles qui la détermine. Par exemple, ils pourront chercher à s'insérer dans un Forum Internet en langue arabe traitant l'actualité, où ils devront défendre les positions que leur double arabophone défendrait probablement à leur place, et noter les réactions de la communauté du Forum. Ou bien, toujours dans la peau de leur double, ils pourront participer, comme observateurs participants, à un moment dans la vie d'une communauté arabophone de leur ville (toutes les grandes villes ont une communauté arabophone assez accueillante), par exemple à un dîner de mariage où, à nouveau, ils devront exprimer les préférences que, vraisemblablement, leur double exprimerait à leur place – et puis noter les effets sur l'entourage et sur eux-mêmes.



Si, ensuite, vous vouliez offrir à vos étudiants italiens ou américains un séminaire sur la traduction de textes commerciaux écrits en langue arabe (en tant que médiateurs interculturels, ils pourraient aussi travailler dans les services de relations extérieures d'une entreprise qui commerce avec les pays arabophones), vous n'auriez qu'à utiliser la même méthodologie que vous avez utilisée pour votre cours de langue arabe. Car cette didactique de l'enseignement des langues est fondée sur un principe traductologique fondamental, celui que nous avons indiqué au début de cette contribution: on ne traduit pas les mots d'un texte mais plutôt les intentions communicatives du texte, reconnues telles par une précise communauté de parlants (les témoins LS). De même, on ne crée pas un texte LC qui sonne juste à l'oreille du traducteur, mais qui sonne juste à une précise communauté de lecteurs (les destinataires présumés).



Imaginons, donc, que vous voulez proposer à vos étudiants américains la traduction en anglais d'un « rapport annuel de gestion » écrit en langue arabe. En suivant le principe mentionné, vous ne présenterez pas le rapport tel quel aux étudiants pour être traduit, c'est-à-dire sans ajouter d'autres indications. Car si vous le faisiez, sûrement vos étudiants, formés en langue arabe selon la méthodologie décrite ci-dessus, vous répondraient: « Pardon, mais nous ne pouvons pas traduire ce texte si vous ne nous dites rien du commettant et du destinataire et si nous n'avons pas la possibilité d'enquêter sur eux! »



Et alors vous les informerez que, par exemple, le commettant est vice-président de telle société chimique tunisienne. Vos élèves rechercheront donc sur Internet la société en question et sa place dans l'économie tunisienne; ils feront un portrait-robot culturel et caractériel du vice-président; ils participeront aux Forums où l'on parle de cette société, etc. Car connaître son commettant est important dans la traduction: on saisit mieux les sous-entendus du texte et l'on sait mieux à qui on a affaire s'il faut adapter le texte ou changer le ton.



Et quand vous direz à vos étudiants que le destinataire est telle société holding texane, vos élèves, après avoir fait le portrait-robot du PDG, enquêteront sur le conseil d'administration, sur sa politique envers ses filiales, sur son rapport annuel (pris comme modèle stylistique), etc. Car si aux États-Unis la langue anglaise est partout la même, du moins en large mesure, le langage du rapport annuel d'un holding pétrochimique texan n'est pas celui du rapport annuel d'une société de logiciels californienne, dans laquelle le PDG se balade en sandales.



Enfin, pour aider vos étudiants à affiner leur perception des deux mondes qu'ils doivent mettre en rapport, vous les ferez discuter, par deux, les thèmes du rapport annuel à traduire, l'un des étudiants assumant l'identité du vice-président tunisien et l'autre l'identité du PDG texan. Ils pourront discuter en anglais ou, imaginant un PDG bilingue, en arabe; l'important est qu'ils expriment le point de vue de leurs doubles LS et LC. Ils pourraient également téléphoner à l'étranger en utilisant l'Internet (VoIP), les étudiants « tunisiens » à des sociétés chimiques tunisiennes et les étudiants « texans » à des holdings texans, en tant que potentiels investisseurs qui cherchent des renseignements ou une copie du rapport annuel.



Après quoi ils pourront traduire le rapport.



A quoi sert cette méthodologie plutôt laborieuse? Vous avez noté que dans ces diverses activités de recherche, les étudiants doivent s'efforcer de vouloir dire, non pas les choses qu'ils disent tous les jours, mais les choses qu'ils diraient s'ils étaient réellement nés dans le milieu des personnages qu'ils ont choisi d'être pour un jour. Car cet effort – bien réussi ou mal réussi, cela n'a pas d'importance – changera leur structure existentielle et, par conséquent, les changera intérieurement sur le plan volitif, viscéral. Ces diverses activités de recherche donneront donc à vos étudiants non seulement de nouvelles connaissances procédurales (« pratiques ») dans les domaines de la langue et culture arabes et de la traduction des textes en arabe, mais aussi une nouvelle connaissance volitive, un nouveau savoir-faire réfléchi – la compétence interculturelle – qui les aidera à mieux « parler le langage » (et non seulement la langue) de leurs futurs interlocuteurs arabophones et créer avec eux une entente authentique.



Voilà pourquoi nous avons dit que les connaissances volitives doivent être considérées plus que de simples connaissances procédurales ou pratiques. En effet, elles permettent aux étudiants de voir et d'interpréter le monde environnant de façon différente – dans le cas de vos étudiants imaginaires, plus en harmonie avec la manière de voir et de faire qu'on retrouve dans le monde arabophone, perçu «from the natives' point of view» (Malinowski 1972: 52 [1923]). Ceci ne veut pas dire que vos étudiants cessent d'être Italiens ou Américains. Au contraire, le fait de « vivre » une autre culture renforcera la perception de leurs cultures natives; leur « nouvelle dimension intérieure » sera un complément, non pas une substitution. Les comptes-rendus ethnographiques des activités de recherche que vos étudiants vous fourniront avec les supports justificatifs (par exemple, les logs du Forum Internet, les vidéos de leurs interactions sur le terrain, les enregistrements de leurs appels téléphoniques en VoIP) vous permettront d'évaluer s'ils ont effectivement su faire partie d'une communauté arabophone (virtuelle ou réelle) « à plein titre », c'est-à-dire en étant acceptés par les membres de la communauté comme un des leurs, et s'ils ont donc effectivement acquis la nouvelle dimension intérieure et, avec elle, une compétence interculturelle en langue arabe.



L'entente authentique à travers l'empathie

Maintenant, résumons ce que nous avons dit jusqu'à présent.



Nous avons affirmé qu'un bon traducteur a besoin d'une compétence interculturelle, à savoir la capacité d'établir une entente authentique avec des communautés d'interlocuteurs qui ont une Weltanschauung diverse de la sienne. Nous avons ajouté qu'une entente est authentique s'il y a convergence entre les parties sur les plans cognitif, affectif et – surtout – volitif. Et nous avons donné un exemple plutôt détaillé pris du monde de l'enseignement des langues pour rendre plus claires ces différentes formes de connaissance, en particulier les connaissances volitives.



Reprenons, alors, notre discours initial sur la traduction comme médiation interculturelle et sur la notion clé d'« entente authentique ».



Deux personnes culturellement diverses se comprennent authentiquement, avons-nous dit, si leurs Weltanschauungen convergent, du moins en communiquant. Cela implique qu'au moins l'un d'eux ait accepté d'acquérir, avec la Weltanschauung de l'autre, son langage et, si possible, même sa langue. Cette triple convergence (ou du moins la convergence de Weltanschauung et langage) garantit que l'entente entre les deux personnes sera cognitive, affective et volitive. Donc que chaque objet symbolique échangé produit, chez les deux, la même réaction ou, du moins, une réaction homologue. Si nous remplaçons « chez les deux » par « chez les deux publics LS et LC », cette formulation définit la traduction interculturelle. Newmark 1998: 47 utilise presque la même formulation pour définir la traduction « communicative ». Le terme est tout à fait acceptable, seulement pour nous, contrairement à Newmark, toute traduction doit être « communicative » (donc interculturelle), sauf les textes objets d'analyse linguistique, a fortiori les textes d'exégèse (un livre saint, une loi, une énonciation philosophique).



La communication et la compréhension authentiques exigent, donc, que l'un des interlocuteurs (au moins) « se déplace » dans le monde de l'autre, s'éloignant momentanément de sa structure existentielle habituelle pour adopter celle de l'autre – tout en restant soi-même, bien entendu. Nous avons appelé, plus haut, ce mouvement psychologique « discernement actionnel de la Weltanschauung d'autrui ».



Edith Stein (1998 [1917]) a utilisé le terme « empathie » pour le décrire et le mot est entré dans l'usage commun. Toutefois, l’empathie (ou « intropathie ») n'est pas, comme on le pense souvent, la simple « perception et compréhension des sentiments et besoins d’autrui » (www.tinyurl.com/wiki-m-i): cela serait une connaissance purement cognitive (ou tout au plus cognitive et affective comme dans le cas de la sympathie). Dans la définition originelle de Stein, l'empathie est en revanche avant tout volitive; c'est vivre les sentiments de l'Autre, expérimenter ses besoins – sans toutefois aller jusqu'à s'identifier avec lui. Le vouloir empathique reste en deçà de l'agir. Un exemple éclaircira cette distinction. Le film dont on vient de parler, Paradise Now, est célèbre pour avoir réussi à faire éprouver aux spectateurs le monde des kamikazes palestiniens et la façon dont ils le vivent (pour un avis contraire: A.N. 2006 www.tinyurl.com/gazette-3 ). On imagine facilement, donc, que le metteur en scène ait pu éprouver, lui aussi, les pulsions qui poussent ses protagonistes à la violence – comme, du reste, semble les éprouver, dans les derniers plans du film, la pacifiste Suha. Mais, ni le metteur en scène, ni vraisemblablement Suha si le film a une suite, ne donneront jamais libre cours à ces pulsions; ils continueront à faire d'autres choix d'action dans la vie réelle. Le même mécanisme s'applique au traducteur: il doit sentir en soi les sollicitations – quelle qu'en soit la nature, même répréhensible – des textes qu'il doit rendre et des communautés d'où ces textes sont issus, sachant que vouloir pour un instant une chose ne signifie pas nécessairement passer à l'action. « Quand j'écrivais l’empoisonnement d'Emma Bovaryécrit Flaubert (Girard & Leclerc 2003 www.tinyurl.com/conard-1 )j'avais si bien le goût d'arsenic dans la bouche, j'étais si bien empoisonné moi-même, que je me suis donné deux indigestions, coup sur coup, des indigestions très réelles, car j'ai vomi tout mon dîner. » Que les futurs traducteurs de Flaubert se tranquillisent! On peut, quand même, traduire Madame Bovary et avec empathie sans en faire autant.



Après Edith Stein d'autres penseurs ont contribué à définir la « compréhension empathique ». Gadamer (2009 [1960]) la compare à la « fusion d’horizons » qu'offre la compréhension herméneutique et précise, comme Stein, qu'il ne s'agit pas d'un transport psychique dans un monde entièrement coupé du nôtre, mais plutôt d'un décentrement de perspective qui porte à la découverte du monde de l'Autre en nous-mêmes. Piaget (1985 [1962]) en parle aussi, appelant « égocentriques » les enfants qui n'arrivent pas à se décentrer et qui sont, par conséquent, incapables de communiquer authentiquement avec les autres. Ce lien, que Piaget a si bien décrit, entre les carences d'empathie et les carences communicatives dans les enfants d'un certain âge (et dans les cas pathologiques bien longtemps après), aurait une explication développementale. En effet, la capacité de partager l'intentionnalité d'autrui serait la base même du langage, selon Tomasello et son équipe à l'Institut d'anthropologie évolutionniste Max Planck: « As the key social-cognitive skill for cultural creation and cognition, shared intentionality [underlies] the uniquely powerful cognitive skills of Homo sapiens [… Human language] derives from the uniquely human abilities to read and share intentions with other people [...] where again sharing means having psychological states that include within them as content the psychological states of others. » (Tomasello et al 2005: 687, 690 www.tinyurl.com/tom2005 ).



En un mot, si nous n'intériorisons pas le monde cognitif, affectif et surtout volitif des Autres, nous ne pouvons guère nous entendre à fond avec eux. Cela est vrai quand les Autres sont nos interlocuteurs en chair et en os, mais ceci est également vrai quand les Autres sont purement virtuels.



Ce dernier cas est celui de la traduction et des professions qui lui sont proches – par exemple, le doublage cinématographique ou la localisation des campagnes publicitaires. Celui qui traduit, double ou localise doit savoir interagir de façon empathique avec des Absents. D'une part – comme nous l'avons déjà postulé en donnant l'exemple de la traduction d'un rapport annuel en langue arabe – ces Absents sont la communauté LS et en particulier les « témoins LS », ceux qui ont attribué un certain sens et une certaine valeur aux textes qu'on doit traduire ou doubler ou localiser: le vice-président tunisien et ses collègues dans notre exemple. Le traducteur saura saisir pleinement ce sens et cette valeur seulement s'il s'immerge virtuellement ou réellement dans la communauté en question. D'autre part, les Absents sont la communauté des destinataires présumés de la traduction (ou du doublage ou de la localisation) en LC – comme le PDG texan et son conseil d'administration dans notre exemple. En effet, pour être en mesure de faire les choix expressifs optimaux dans son travail de médiation, le traducteur doit s'immerger virtuellement une deuxième fois, maintenant dans la réalité culturelle de ses destinataires présumés, dont normalement il a déjà intériorisé la langue mais non nécessairement les langages, les attentes et les façons de penser.



Une double métamorphose, donc, que le traducteur – qui passe continuellement d'un texte à l'autre – doit, tel un caméléon, savoir faire subitement.



Les deux « changements de peau » que pratique le traducteur-caméléon sont essentiels à la réussite de son ouvrage. En effet, un traducteur qui, avant de traduire, ne s'exerce pas à se décentrer dans les deux mondes dont il prétend être le médiateur, ne peut que faire des traductions « sémantiques » (Newmark 1998: 47). N'ayant pas en soi ces deux mondes qui livre la clé pour l'interprétation du texte LS et pour la formulation du texte LC, il ne saura créer un texte qui produise sur les destinataires LC les mêmes effets qu'a produit sur les témoins LS le texte original. Il ne sera donc qu'un traducteur-écrivaillon, non pas un traducteur-écrivain; ses traductions seront des fleurs factices, non pas des bouquets de fleurs véritables. Et il y a pire. Coupé des deux mondes, ce traducteur risque de projeter sur les textes LS « son » idée de leur sens et valeur, et, sur les textes LC qu'il produit, « son » idée de leur lisibilité pour les destinataires. Semblable aux enfants décrits par Piaget, il devient alors un traducteur égocentrique. Pour paraphraser Robert Browning, seuls Dieu et lui savent ce qu'il écrit ; souvent Dieu seul le sait.



Ajoutons que ces principes de la communication interculturelle s'appliquent en égale mesure, mutatis mutandis, aux relations – de nature diplomatique, commerciale, ou culturelle – entre deux pays ou entre deux institutions appartenant à des pays différents. Sans une compréhension réciproque qui soit à la fois cognitive, affective et volitive, les deux pays ou les deux institutions peuvent édifier tout au plus des ententes « non authentiques », c'est-à-dire de façade. Une entente qui est non pas authentique – car seulement cognitive et affective, voire seulement cognitive – peut être suffisante pour mener à bien, par exemple, un échange de marchandises ou l'attribution d'un service. Mais elle est sûrement insuffisante pour permettre la réalisation, avec succès, d'une joint-venture pour la production en commun de produits nouveaux, ou pour le lancement d'un service innovateur où les talents des deux pays se fusionnent en synergie. Car la collaboration créative suppose nécessairement une entente « authentique », dans la plénitude de sens que nous venons d'indiquer ici.



L'entente authentique dans la traduction



La recherche de l'authenticité impose donc au traducteur comme au diplomate, avant d'entamer une traduction ou des pourparlers, de mettre momentanément de côté leurs croyances, leurs valeurs et leurs préférences natives, et d'accepter pour un instant de «ne plus rien comprendre» (voir la notion d'« épochè », Husserl 1992 [1931]). En un mot, la recherche de l'authenticité leur impose d'entrer momentanément dans un état d'anomie, pour pouvoir ensuite apprendre de l'Autre – qu'il soit un Autre en chaire et en os ou un Autre virtuel traqué sur Internet – le sens existentiel précis à attribuer aux phénomènes. Phénomènes de tout genre, n'importe quoi: un rapport annuel de gestion, la façon de le rédiger, le titre honorifique d'un commettant, mais aussi le cri d'un dromadaire, l'odeur d'un camembert, un jupon dévoilé... tout! Nous découvrons le monde de nos témoins LS et celui de nos destinataires LC en attribuant leurs sens aux choses, sens qui deviennent momentanément nôtres. « Madame Bovary, c'est moi! » s'écriait Flaubert pour expliquer à une amie d'où venait sa capacité de comprendre aussi bien l'âme d'un personnage féminin. Chaque traducteur devrait pouvoir dire, à propos de ses publics source et cible, exactement la même chose.



Comment réussir à se métamorphoser ainsi ? Nous en avons illustré ci-dessus la technique en cinq démarches pour un cours de langue et pour un cours de traduction « interculturels »  (enquêter, reformuler, se décentrer, intérioriser, expérimenter) ; voir aussi Boylan 2000, 2009.



C'est seulement après cette expérience de métamorphose que nous pouvons ramener au premier plan nos valeurs natives et donc vivre dynamiquement les deux systèmes ensemble (semi-biculturalism). C'est aussi à ce moment que nous pouvons commencer à enseigner nos valeurs à notre interlocuteur étranger – à moins qu'il ne les ait pas déjà apprises, ayant fait l'effort, lui aussi, de ne « plus rien comprendre » et de s'immerger dans notre monde. Mais, même si l'Autre ne fait pas cet effort, préférant rester agrippé à sa Weltanschauung native, nous pouvons quand même établir avec lui une entente authentique, car désormais nous parlons son langage. Nous seuls avons fait le pas vers l'autre, mais cela suffit et, en outre, c'est tout à notre avantage. En effet, dans l'« accommodation culturelle unilatérale » (Boylan 2009 www.tinyurl.com/boylan-uca ), c'est nous qui contrôlons le flux des informations. C'est donc nous, quelles que soient les apparences et les hiérarchies, qui menons réellement le jeu.



En ce qui concerne les cas où il n'y a pas de contact réel – comme dans la traduction – on n'a pas le choix: on ne peut que faire l'« accommodation culturelle unilatérale ». De ce fait, on mène forcément le jeu. Qu'on le fasse de façon responsable ou de façon égocentrique, on détermine autocratiquement le flux des informations.



En guise de conclusion



Le traducteur (tout comme le comédien de doublage ou le localisateur de campagnes publicitaires) et le diplomate (tout comme le négociateur d'une multinationale ou le délégué ERASMUS d'une université) sont investis, de par leur fonction, du rôle de médiateur interculturel – que cela leur plaise ou non.



Cela veut dire, selon la perspective illustrée dans cette contribution, qu'ils doivent accomplir, avant chaque traduction ou rencontre, un important travail de préparation – pourvu qu'ils acceptent de le faire. Ils doivent s'immerger dans le monde de leurs interlocuteurs, réels ou virtuels: exercice rapide s'ils ont déjà documenté ces mondes, exercice laborieux autrement, mais en tout cas essentiel s'ils visent une entente authentique. Et il y a plus encore.



Pendant son travail de lecture, le traducteur-médiateur-interculturel doit noter chaque tournure et chaque phrase qui s'écarte des attentes affinées par le travail de préparation – tout comme, pendant les pourparlers, le diplomate-médiateur-interculturel doit étudier chaque mot et chaque geste significatifs (en tant qu'écart) de l'interlocuteur LC – pour pouvoir tisser avec ces éléments des « toiles de signification » partagées (Geertz 1973: 5) de plus en plus solides.



« Mais tout ceci – pourrait-on exclamer en poussant un soupir – n'est-il pas évident? dispendieux en temps? et au fond superflu? »



Voilà en effet les trois objections les plus fréquentes que rencontre la vision de la communication interculturelle et de la traduction authentique que nous avons présentée ici. Terminons, donc, en les examinant de plus près.



La première objection nie la nouveauté: « Mais tout ceci correspond à ce que je fais spontanément depuis toujours, quoiqu'avec moins de rigueur; alors en quoi consiste la différence? » La réponse: c'est justement la rigueur qui fait toute la différence, soit: 1) le choix des témoins LS et LC et la création de leurs portraits-robot culturels ; 2) la dérivation de leurs maximes culturelles ; 3) la mise entre parenthèses (« épochè ») du propre monde ; 4) l'adhésion aux maximes de l'autre monde ; 5) l'expérimentation et la vérification. En effet, en suivant avec rigueur ces cinq démarches, le traducteur ou le diplomate interculturel note des détails qu'il pourrait négliger autrement, rend explicites ses propres intuitions et ses propres résistances et, enfin, cible mieux son esprit et ses énergies sur la rencontre avec l'Autre.



La deuxième objection concerne la durée: « Mais tout ceci prend trop de temps, personne ne pourrait investir autant, surtout quand il y a d'autres priorités, par exemple le repérage du vocabulaire spécialisé dans les documents à traduire. » La réponse: cette objection tombe devant la première. En effet, en déclarant qu'il se prépare mentalement toujours quoique sans rigueur avant de traduire ou de négocier, le traducteur ou le diplomate reconnaît avoir tout le temps nécessaire ; il est seulement question de savoir comment utiliser ce temps au mieux. En outre, si, au préalable, il rend explicites sa perception de la culture de l'Autre et son éventuelle résistance à l'assimiler (démarches 3 e 4), le traducteur ou le diplomate interculturel mettra beaucoup moins de temps pour vérifier la première et vaincre la seconde au moment de la rencontre avec l'Autre, afin de pouvoir établir avec lui une entente authentique. J'ajoute que, avec l'habitude, le temps préparatoire diminue nettement.



La troisième objection est la plus insidieuse: « Mais la procédure indiquée est fatigante; on peut négocier avec succès en faisant beaucoup moins, même en s'en passant totalement. Et traduire aussi! » La réponse: c'est évident! Et nous l'avons déjà dit. En ce qui concerne la négociation, on peut certainement s'en passer, si un échange est routinier et si l'on n'a pas besoin de créer des synergies. On peut s'en passer aussi en ce qui concerne la traduction, si l'on se contente de livrer aux clients des fleurs factices: de toute façon la plupart des clients ne noteront pas la différence. Le même raisonnement s'applique aussi, pour faire une digression, au cas du mariage, du moins selon la sagesse populaire: un couple dure et avec moins de fatigue – dit-on – si les partenaires ne posent pas trop de questions, s'ils ne cherchent pas une « entente authentique ». Que dire? À chacun son goût.



Le traducteur donc, tout comme le diplomate, peut toujours refuser l'investiture de médiateur interculturel et vendre le fruit de son travail au rabais. La perte pour l'humanité sera modeste – comme, à mon avis, sera modeste le gain pour l'humanité si, au contraire, il acquiert une compétence interculturelle pour créer, dans son travail de médiation, des ententes authentiques.



Oui, modeste! En effet, je ne suis pas un de ces optimistes naïfs, convaincus que, grâce à la diffusion de la compétence interculturelle, une meilleure entente entre les nations soit possible et, avec elle, la paix et l'amitié universelles: il est beaucoup plus probable que les pays les plus forts tenteront d'employer une meilleure compréhension des pays moins forts pour mieux les soumettre – peut-on en douter? La paix et la justice sociale ne s'obtiennent pas de droit grâce à la meilleur perception de l'autre, mais à travers la lutte dure pour un rééquilibre des rapports de force économiques et donc politico-militaires.



Le traducteur et le diplomate ont donc intérêt à tenter de créer des ententes authentiques dans leur travail, non parce que ceci « changera le monde », mais parce que ceci les changera eux. Ils n'auront pas une vie vécue au rabais, mais une vie qui leur rendra leur dignité d'êtres humains.



Mais, je me trompe peut-être sur la question des rapports internationaux: je ne veux pas être péremptoire et je vois qu'une certaine marge existe. Saisir les valeurs culturelles de l'Autre est une arme à double tranchant, qui peut aussi jouer en faveur du pays le moins fort, comme l'illustre le cas du petit État de Singapour. En outre, créer une entente qui soit vraiment authentique, dans un couple ou entre plusieurs pays, tend à créer en même temps des rapports d’interdépendance. C'est là la conséquence naturelle d'une allocation des ressources et d'une répartition des spécialisations, optimisées grâce au partage optimal des informations. Dans cette perspective, la globalisation ne deviendrait plus l'hégémonie d'un seul pays qui écraserait les cultures locales aveuglément, mais l'hégémonie d'une culture planétaire qui, précisément grâce à l'optimisation du flux des informations, sauvegarderait les cultures locales parce qu'elles intègreraient leurs points forts dans un réseau où tout se tient, où chacun – grand ou petit – a besoin de l'autre.



Ce n'est qu'un espoir, je le sais; mais c'est un espoir que nous pouvons contribuer à faire vivre chaque fois que nous aidons deux personnes, deux institutions, deux communautés à se rencontrer authentiquement.













Références



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(*) Édition hors commerce, en prêt à travers WorldCat; voir:

www.tinyurl.com/ialic-1997 , www.tinyurl.com/ialic-1998 , www.tinyurl.com/ialic-1999 .